Le E-commerce, une opportunité pour les PME françaises. Par Emily Mayer, Directrice Business Insights, Institut Circana.

Le E-Commerce GSA : le circuit le plus en forme de l’univers de la grande distribution.


Le E-commerce version grandes surfaces, c’est majoritairement du drive voiture, complété (pour environ 10%) du drive piétons et de la livraison à domicile. Ce circuit représente aujourd’hui 7,6% du chiffre d’affaires des produits de grande consommation et s’avère être, sur le temps court comme sur le temps long, le plus dynamique de l’univers de la grande distribution.
Avant le covid, le circuit était déjà gagnant et le seul à afficher une progression de l’ordre de 5% de son chiffre d’affaires chaque année. En 2020-2021, les progressions ont été, pour les raisons que l’on connait, exponentielles. Et le réveil n’a pas été si difficile. En effet, si en 2022 le circuit connait un reflux de sa part de marché, ce dernier est vraiment mineur au regard de l’historique très fort des années covid (cf graphique 1).
Et la reconquête ne tarde pas. Dès le 2ème trimestre 2023, le E-commerce GSA gagne de nouveaux des parts de marché sur les circuits physiques pour finir l’année comme le grand gagnant (cf graphique 2). Une performance à laquelle on ne s’attendait pas forcément sur une année où, avec une inflation de près de 13%, les enseignes de discount et les hypermarchés étaient plutôt envisagées comme gagnants.
Sur les 12 derniers mois, alors que les volumes de consommation sont toujours en baisse, le E-commerce est le seul où ces derniers progressent (+4% vs -2,3% dans les magasins physiques) et le circuit retrouve même à court terme son niveau de part de marché de la période Covid (graphique 3).

Graphique 1

Graphique 2

Graphique 3

Comment expliquer cette très belle performance du E-Commerce GSA ?
Emily Mayer : Le principal atout du E-commerce réside dans le gain de temps indéniable qu’il représente pour les shoppers. En effet, la majorité des Français ont le sentiment que les rythmes de vie vont trop vite, ils cherchent à optimiser cette denrée rare qu'est le temps et acceptent de moins en moins les temps « improductifs ». Le E-commerce résout de nombreux irritants des magasins physiques en premier lieu desquels l’irritant n°1 : l'attente en caisse. Les shoppers apprécient également la praticité du E-commerce qui permet de faire sa commande de n’importe où (de chez soi, de son lieu de travail), à n’importe quelle heure et en évitant de perdre du temps dans les allées des magasins. La récupération des courses sur un créneau choisi, sans contrainte de stationnement et d’attente et offre également un confort précieux.
L'atout "maitrise des dépenses" du E-commerce joue également son rôle dans cette période d'inflation et de prix élevés. Le drive et la livraison à domicile permettent un contrôle progressif du montant du caddie, laisse la possibilité de retirer des articles de la commande sans gêne et sans devoir retourner les poser dans le bon rayon. Le très faible niveau de « tentation » en drive (et ainsi la réduction des achats non prévus qui font grimper la note) de même que la forte représentation des MDD dans l'offre sont également des points forts du E-commerce pour maitriser son budget.

Enfin, la prédominance de Leclerc dans le E-Commerce des grandes surfaces, champion de la croissance depuis plusieurs mois (grâce à son positionnement prix attractif mais pas uniquement), explique également la bonne santé du circuit.

E-Commerce GSA : un avenir radieux ?
Emily Mayer : S’il est sur une pente définitivement ascendante depuis sa création au début des années 2000, le E-commerce a encore de beaux jours devant lui.
En effet, la livraison à domicile, encore discrète face au modèle dominant du drive voiture, pourrait être une étape importante dans l’expansion du E-Commerce des GSA sur les prochaines années pour autant que le sujet « frais de livraison » (que les Français sont particulièrement rétifs à payer) soit résolu. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’effet Amazon », plateforme qui nous habitue à tout recevoir à la maison, sans se déplacer. Les opérateurs type Uber Eats ou encore Deliveroo, avec une multiplication par plus de 2 de leur activité sur les 5 dernières années contribuent également à installer l’habitude de faire venir l’alimentation à soi.
Une autre façon de pérenniser la croissance du E-commerce des GSA serait d’élargir les produits qui y sont distribués, quasi exclusivement des PGC FLS aujourd’hui. Quid demain d’utiliser ce « canal » commercial établit pour développer la commercialisation des produits frais traditionnels et du non alimentaire ?

Le E-commerce : un terrain à conquérir pour les PME/ETI françaises ?
Emily Mayer : Le E-commerce, pour toutes les raisons évoquées précédemment, est indéniablement un circuit stratégique.
Malheureusement, il est aujourd’hui avant tout le terrain de jeu des grands groupes et des marques de distributeurs. Les PME et entreprises de taille moyenne y représentent une part plus faible de leur chiffre d’affaires comparativement à ce qu’elles réalisent en hyper et supermarchés (graphique 5). Pour les PME, c’est une part de marché 2 fois moins forte en E-commerce qu’en hyper/super !

Graphique 5 : poids CA des types de marques dans le total PGC FLS, CAM P3 2024

Le développement des positions des plus petits acteurs en E-commerce GSA devra nécessairement passer par un étoffement de l’offre proposée. La faiblesse de l’assortiment PME en drive est effectivement aujourd’hui l’explication principale à leur sous-représentation : ces dernières représentent 7,4% de l’offre PGC FLS en E-commerce quand ce chiffre atteint 15,5% en hyper/super.
Les PME sont en E-commerce particulièrement décrochées en termes d’offre vs leurs positions en hyper/super sur l’entretien, l’épicerie sucrée, le frais non laitiers et la crèmerie. En revanche sur les alcools, elles atteignent en E-Commerce les 2/3 ou plus de la part d’offre qu’elles possèdent en hyper/super.

Graphique 6 : part d’offre des PME sur les familles de produits PGC FLS, CAM P3 2024

Propos recueillis en mai 2024.